Le 10 mars 2025, le leader kurde Mazloum Abdi et le président de transition Ahmed al-Charaa signent un accord intégrant les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans la nouvelle armée du pays. Le rattachement du territoire de l’Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) était prévu à terme. Cette entente arrive à point nommé pour le pouvoir, dont la capacité était mise en doute par des massacres dans la région côtière. Six mois plus tard, le processus d’intégration est à l’arrêt ; les FDS ont juste quitté Cheikh Maksoud, le quartier kurde d’Alep, et elles ne souhaitent pas déposer les armes. La Turquie est menaçante, et l’autonomie kurde est en danger.
Article paru dans Moyen-Orient, n°68, octobre-décembre 2025
Lorsque le régime de Bachar al-Assad (2000-2024) s’effondre en décembre 2024, les FDS s’emparent de la rive sud de l’Euphrate, entre Maadan et Al-Bou Kamal. Cependant, leur succès est de courte durée, car les tribus locales se montrent hostiles et l’Armée nationale syrienne (ANS), pro-turque, lance une offensive contre Tel Rifaat et Manbij, dans le nord. Mazloum Abdi est forcé de mobiliser toutes ses troupes sur ce front. Il évacue la rive sud du fleuve, récemment occupée, trop difficile à contrôler. Depuis le lac Al-Assad, il tente d’ouvrir un corridor vers Tel Rifaat, mais sans succès. L’enclave kurde est conquise par l’ANS. Le front de Manbij s’effondre le 11 décembre 2024, et les hommes des FDS doivent évacuer la ville et se replier à l’est de l’Euphrate. Leur situation est critique, car Ankara incite ses supplétifs à traverser le fleuve et à envahir le reste de l’AANES. Toutefois, Washington vient en aide à son allié kurde en déployant 1000 soldats supplémentaires dans la région, notamment autour d’Aïn al-Arab (Kobané). Le président Joe Biden (2021-2025), en fin de mandat, avertit la Turquie qu’elle sera frappée de sanctions si elle poursuit son offensive contre les Kurdes.
Difficile cohésion de l’AANES
La perte de Tel Rifaat et de Manbij fit qu’environ 200000 Kurdes, qui avaient déjà été déplacés d’Afryn, se réfugièrent à l’est de l’Euphrate. Ils s’ajoutèrent aux centaines de milliers d’autres chassés d’Alep, de Ras al-Aïn ou de Tel Abyad. Mais Ahmed al-Charaa, qui contrôlait déjà Alep depuis son assaut victorieux de fin novembre 2024, ne désirait pas s’engager dans un conflit direct contre les FDS. Il préférait que l’ANS se charge de ce rôle, afin de donner l’impression qu’il pouvait réunifier pacifiquement la Syrie et mettre fin aux querelles intestines. Il s’agissait d’éviter de massacrer les Kurdes, tout comme les autres minorités, pour obtenir la levée des sanctions contre la Syrie, son organisation et sa propre personne. D’une part, les Kurdes bénéficient d’un fort capital de sympathie en Occident, notamment grâce au combat qu’ils ont mené contre Daech). D’autre part, l’efficacité de l’organisation militaire des FDS, même sans l’appui direct des troupes américaines, rend toute attaque contre elles périlleuse. Cependant, Ahmad al-Charaa pourrait tirer profit de la sympathie de certaines populations arabes à son égard et du rejet des Kurdes, comme ce fut le cas à Manbij.
La chute de Bachar al-Assad fut saluée dans toute l’AANES, mais avec une ferveur particulière par la population arabe sunnite. En effet, cette dernière préfère faire partie d’une Syrie arabe dirigée par un islamiste plutôt que de vivre dans une région autonome dominée par des Kurdes séculiers. Il est important de noter que les Arabes représentent la majorité de la population de l’AANES. Les zones purement kurdes sont limitées à Diérik, Kobané et, jusqu’en 2018, Afryn (la région est tombée sous contrôle turc en mars 2018, entraînant le départ de la majorité de la population kurde remplacée par des Arabes et des Turkmènes). Dans la vallée inférieure de l’Euphrate, la présence kurde se réduit à une minorité citadine à Raqqa (environ 20% de la population). Les Kurdes constituent la population majoritaire de la province de Hassaké, mais ils coexistent généralement avec des Arabes. Cependant, cela ne signifie pas qu’ils vivent côte à côte : chaque communauté possède son village ou quartier. Comme partout en Syrie, les espaces réellement mixtes se limitent à ceux des classes supérieures où la richesse efface le communautarisme.
Les Arabes ont mal vécu le renversement de la hiérarchie en faveur des Kurdes durant la guerre. Ils se sont soumis à leur autorité après qu’ils les ont libérés de l’emprise de Daech avec l’aide de la coalition internationale. Cependant, ils craignaient également de devoir retourner sous le régime de Bachar al-Assad avec son lot de conscription obligatoire, de répression et de prédation. Grâce à l’aide occidentale, le niveau de vie de la population de l’AANES était deux à trois fois supérieur à celui des Syriens vivant sous Bachar al-Assad. Cependant, en décembre 2024, l’enthousiasme suscité par la victoire d’Ahmed al-Charaa a entraîné des manifestations unionistes dans les zones arabes, en particulier à Raqqa. Des déploiements de l’armée et des négociations ardues avec les dirigeants arabes ont été nécessaires pour empêcher que cela ne dégénère en une manifestation d’hostilité envers la direction de l’AANES, accusée de séparatisme. En mars 2025, Mazloum Abdi a choisi de signer l’accord d’intégration de l’AANES avec la Syrie d’Ahmed al-Charaa pour deux raisons principales : d’une part, il souhaitait apaiser les tensions avec la communauté arabe ; d’autre part, il cherchait à gagner du temps.

Alliances militaires et jeux de dupes
Les FDS comptent environ 75000 combattants, dont deux tiers sont des Arabes. Ces derniers sont répartis dans différentes factions tribales, comme les Sanadid, tandis que les Kurdes sont uniquement dans les Unités de protection du peuple YPG (environ 30000 hommes), où ils constituent 75% de l’effectif. La milice kurde constitue l’épine dorsale des FDS, étant la plus nombreuse, la plus disciplinée et la mieux équipée en matériel ; elle est le seul canal de distribution des armes américaines.
La cohésion interne des YPG est fondée sur une discipline stricte héritée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce système promeut la montée en puissance d’une nouvelle génération de combattants arabes qui s’écarte des hiérarchies tribales traditionnelles. Cela correspond à l’exportation du modèle de l’« homme nouveau » kurde vers les Arabes, avec un succès mitigé. La direction kurde des FDS sait également ménager les hiérarchies tribales locales avec pragmatisme, vis-à-vis de l’idéologie du PKK, afin qu’elles ne se retournent pas contre elle.
Jusqu’à présent, la cohésion des FDS a résisté aux conflits avec la Turquie, le régime de Bachar al-Assad puis de celui d’Ahmed al-Charaa. En août 2023, le chef du conseil militaire de Deir ez-Zor, Rachid Abou Khawla, fut arrêté pour corruption et tentative de sédition. Ce leader arabe avait gagné ses galons dans la lutte contre Daech. On lui avait ensuite confié la direction de ce canton, qui était complexe mais riche en pétrole. Très vite, il a mis en coupe réglée l’administration locale, détourné le pétrole, organisé la contrebande avec la zone sous contrôle du régime afin de se bâtir un petit « royaume arabe autonome », à la fois par rapport au régime syrien et à l’AANES. La tentative tourna court, mais son arrestation suscita le soulèvement de ses partisans au sein des Aguidat, sa tribu d’origine, emmenée par le cheikh Ibrahim al-Hafil avec un discret soutien du régime de Bachar al-Assad. La révolte fut jugulée par les FDS, aidées par des unités des YPG venues de Qamichli qui appuyèrent les milices arabes restées fidèles. L’aviation américaine a dissuadé les milices chiites présentes au sud de l’Euphrate de traverser le fleuve pour soutenir les forces d’Ibrahim al-Hafil. Que se passerait-il si une nouvelle insurrection arabe éclatait à Deir ez-Zor ?
D’abord, la direction de l’AANES a entamé des négociations avec les chefs de tribu pour qu’ils obtiennent une part plus importante du pétrole produit dans la région. Il est important de noter que le champ Al-Omar représente environ 70 % des réserves pétrolières syriennes. La contrebande avec la zone « régime » est lucrative. Ensuite, elle a cherché à favoriser l’émergence des branches secondaires au détriment des chefferies traditionnelles. Les cadets de la famille sont plus loyaux envers l’AANES que les aînés. Le retour des autorités de Damas dans la région rétablirait l’ordre traditionnel et remettrait en cause leur pouvoir. Cependant, les responsables kurdes savent que la loyauté des tribus n’est jamais acquise advitam eternam, car elle ne travaille que dans son intérêt. Le soutien américain aux FDS, la méfiance à l’égard du succès de Ahmed al-Charaa en Syrie et les gages matériels offerts sont les trois principales conditions qui maintiennent les tribus arabes du nord-est dans le giron kurde.

Le pacte conclu le 10 mars 2025 est surtout un accord de non-agression plutôt qu’un désir d’intégration mutuelle, quels que soient les termes du document. En effet, le président syrien par intérim avait besoin, après le massacre des alaouites, de prouver qu’il était capable de rassembler les Syriens par des moyens pacifiques. À la suite des événements violents sur la côte syrienne en mars 2025, une question a commencé à émerger en Occident concernant la capacité de l’ancien djihadiste à assurer une transition stable en Syrie. En effet, le Dialogue national organisé à Damas à la fin du mois de février a été perçu comme une déception pour les observateurs européens, certains allant jusqu’à le qualifier de « monologue » en raison de la prédominance de la prise de parole d’Ahmad al-Charaa.
Sans l’accord avec l’AANES, la conférence des donateurs du 17 mars à Bruxelles aurait sans doute eu moins de succès. Pour Mazloum Abdi, il s’agissait de calmer les tensions dans les communautés arabes de l’est de l’Euphrate, qui réclamaient le rétablissement de l’autorité syrienne, tout en montrant sa bonne volonté aux États-Unis, qui exigeaient un accord avec le nouveau régime. Enfin, il fallait ménager la Turquie, qui, malgré l’annonce de dissolution du PKK en février 2025, ne renonce pas à faire disparaître l’AANES par la force s’il le faut. Ainsi, afin d’échapper à toute tentative d’attentat turc sur sa vie, Mazloum Abdi a pris un hélicoptère américain pour se rendre à Damas. En fait, le leader kurde espérait que la situation se dégrade en Syrie pour pouvoir revenir sur l’accord. Le massacre des Druzes, en juillet 2025, lui a fourni un prétexte parfait pour le dénoncer. Les FDS souhaitent établir l’Euphrate comme une frontière intérieure avec Damas, refusant de laisser les forces d’Ahmad al-Charaa s’installer sur la rive gauche.
Mazloum Abdi refuse que la partie nord de la province de Deir al-Zor, qui comprend le plus grand champ pétrolier du pays, passe sous contrôle « syrien ». Il souhaite ainsi préserver sa défense naturelle, mais aussi ses revenus. Or, pour Damas, ce pétrole est le gage le plus concret et sérieux de la reconstruction du pays et surtout de l’affirmation de sa puissance. Malgré la signature de plus de 14 milliards d’euros de contrats d’investissements étrangers depuis la levée des sanctions, il ne s’agit que de promesses, certaines d’entre elles étant plutôt irréalistes, comme la construction d’un métro à Damas.
Le retrait des troupes américaines de la région, qui se sont concentrées sur le canton de Qamichli, annonçait cette rétrocession. Officiellement, Mazloum Abdi exige que les FDS soient intégrées en tant qu’entité dans la nouvelle armée syrienne et non en tant qu’individus. Il demande donc que les FDS soient payées par le ministère de la Défense, mais qu’il conserve le contrôle de ses troupes. De plus, il souhaite que le statut d’autonomie de l’AANES soit inscrit dans la Constitution syrienne, dont la version finale est prévue dans cinq ans… En réalité, il gagne du temps en pariant sur la rapidité de l’effondrement du régime d’Ahmed al-Charaa, ce qui permettrait au système décentralisé de l’AANES de devenir une alternative crédible à l’échelle nationale.
Le 8 août 2025, l’AANES a organisé un congrès à Hassaké, auquel ont participé des représentants de diverses communautés ethniques et religieuses syriennes. Parmi eux se trouvaient le cheikh druze Hikmat al-Hijri, qui mène la résistance contre les HTC voulant s’emparer du Djebel Druze, ainsi que le cheikh alaouite Ghazal Ghazal. Ilham Ahmad, l’organisatrice de la conférence et co-présidente du Conseil démocratique syrien, la branche politique des FDS, a exprimé le désir d’un système politique décentralisé et séculier en Syrie, en opposition totale avec le régime centralisé et islamiste qui se construit à Damas.
Ahmad al-Charaa et la Turquie ont vivement réagi à cette réunion. La rencontre prévue à Paris entre Mazloum Abdi et le ministre syrien des Affaires étrangères le 15 août a été annulée. Peu après, Ankara a annoncé son intention de soutenir financièrement et militairement la nouvelle armée syrienne, ce qui représente une menace envers les FDS. Elle a exigé que ces dernières se retirent de la zone pétrolifère de Deir ez-Zor et que les combattants s’enrôlent individuellement dans la nouvelle armée.
Tom Barrack, l’émissaire américain, demande un délai pour les négociations, mais il est évident que les tensions croissantes dans l’est du pays pourraient déboucher sur un conflit armé. En effet, les points de vue de l’AANES et du nouveau régime syrien sont inconciliables. Le premier désire préserver son autonomie et son régime séculier, tandis que le second souhaite établir une « République islamique » centralisée. Les massacres d’alaouites, de druzes et de chrétiens à l’ouest font craindre aux Kurdes un sort similaire une fois qu’ils auront déposé les armes. Une solution intermédiaire pourrait consister à créer un Kurdistan syrien sur le modèle irakien. Cette entité existerait grâce à une mention dans la Constitution, mais également à un accord international incluant la Turquie, ainsi qu’à la présence continue de troupes américaines. Son territoire se limiterait aux régions peuplées en majorité par des Kurdes, et non pas à celles de l’AANES actuelle.
Que deviendra le canton d’Afryn, sous le joug des milices favorables à la Turquie et dont la majorité des habitants kurdes ont été forcés de fuir depuis 2018 ? Les Arabes et les Turkmènes qui ont pris leur place seront-ils obligés de rendre les logements et les terres considérées comme butin de guerre à leurs propriétaires d’origine ? Nous avons aussi la même problématique à Ras al-Aïn, où la population kurde a été chassée en octobre 2019. En outre, Ras al-Aïn avait l’avantage d’assurer la continuité territoriale entre Kobané et Qamechli. La création d’une région kurde autonome en Syrie s’avère beaucoup plus difficile que celle de la région autonome irakienne, qui possède une unité territoriale à l’exception du Sinjar. Les dirigeants kurdes syriens ont adopté une approche beaucoup plus inclusive envers les Arabes, tout comme ils ont favorisé la décentralisation, même au sein de l’AANES, ce qui n’est pas le cas du gouvernement régional kurde irakien. Toutefois, quel que soit le territoire visé par leur projet politique, il est fort improbable qu’il soit accepté par le nouveau régime syrien et son allié turc, qui, malgré l’absence d’offensive militaire, continuent de chercher à l’étouffer économiquement.
Un territoire asphyxié
Le nord-est syrien est souvent décrit comme la région la plus riche de Syrie. C’est là où se trouve le pétrole et le blé du pays. À l’époque baasiste (1963-2024), ces richesses ne profitaient guère à la population locale, car elles étaient drainées vers l’ouest pour être transformées, consommées et exportées. Hafez al-Assad (1930-2000) vouait les provinces de Raqqa, Deir ez-Zor et Hassaké à la production de matières premières. L’industrie se limitait à une étrange usine de papier à Deir ez-Zor, une raffinerie de sucre à Raqqa et une filature à Hassaké. Les agriculteurs étaient soumis à un plan de production agricole strict, réduisant ainsi leur statut à celui de simples exécutants. Cependant, le régime avait amélioré l’irrigation grâce à la construction du grand barrage sur l’Euphrate (Thaoura), ce qui avait contribué à une certaine prospérité dans le monde rural. Mais la guerre a détruit le système de production basé sur la céréaliculture intensive, et la pénurie d’eau croissante rend impossible la reprise de cette activité, tout comme celle du coton. Il faudrait investir des milliards d’euros dans la modernisation du système d’irrigation, qui est obsolète. La pratique traditionnelle qui consiste à submerger les champs n’est plus viable, mais la paysannerie n’a pas les moyens de faire autrement. Il faudrait investir dans l’arrosage et le goutte-à-goutte, ce qui exige un État stratège et disposant de moyens considérables. La sécheresse qui frappe la Syrie depuis quelques années va s’étirer encore pendant plusieurs années, puisque ces périodes sont caractérisées par des cycles de cinq à sept ans. Cette situation entraînera des pénuries d’eau et des conflits locaux. La rétention d’eau pratiquée par la Turquie, qui utilise ses barrages et pompe la nappe phréatique en amont, aggrave la pénurie.
Ankara n’a pas hésité à interrompre l’approvisionnement en eau potable de Hassaké depuis qu’elle contrôle sa principale source, Ras al-Aïn, depuis sa conquête en octobre 2019. Les habitants doivent se ravitailler avec des camions-citernes. Les plus pauvres boivent l’eau saumâtre des puits. Les ONG contribuent à alimenter la ville en eau potable, mais cela ne suffit pas et ce n’est pas viable à long terme. Il serait préférable d’investir dans la construction d’une nouvelle canalisation qui puisera dans le Tigre, à 200 kilomètres, et dont le coût est estimé à deux milliards d’euros. Cependant, avant de commencer le projet, il faudrait rénover le réseau de distribution, ce qui représente un investissement de centaines de millions d’euros. La situation de cette ville constitue un cas extrême, mais non isolé, puisque toutes les agglomérations du nord-est de la Syrie souffrent de la pénurie d’eau. Des villes entièrement détruites, comme Kobané, se sont relevées en quelques années grâce aux investissements privés de la diaspora kurde. Toutefois, les réseaux d’eau et d’égout sont toujours en piteux état, ce qui oblige les habitants à remplir leurs réservoirs avec des camions-citernes. Le soutien international se limite à une aide d’urgence et non à de la reconstruction. Pour que cela soit possible, il faudrait une conférence internationale et l’aval de Damas, car, qu’il s’agisse du régime de Bachar al-Assad ou de celui d’Ahmad al-Charaa, l’AANES ne bénéficie d’aucune reconnaissance internationale à l’exception de la Catalogne.
Le ministère syrien de l’Information a averti les journalistes souhaitant se rendre au Kurdistan syrien qu’ils doivent passer par Damas plutôt que par Fesh Khabour, le poste frontalier informel entre le Kurdistan syrien et irakien, sinon ils seront interdits d’entrée en Syrie. Les ONG sont invitées à faire de même, car il n’est plus question pour elles de travailler dans sur le territoire de l’AANES depuis Erbil, sans quoi elles n’obtiendront pas d’agrément des nouvelles autorités. Le régime d’Ahmad al-Charaa ne fait que reproduire la politique de Bachar al-Assad, mais à la différence qu’il a le soutien des bailleurs de fonds des différentes ONG qui les encourage à obtempérer. Il sera donc plus difficile pour elles de continuer à exercer leurs activités dans le nord-est, où elles contribuaient à l’économie locale.
Un avenir dépendant de la géopolitique régionale
L’avenir de l’ANNES est incertain dans le contexte de concentration du pouvoir. Ahmad al-Charaa s’oppose à l’idée d’une Syrie fédérale tout comme ses principaux alliés, à savoir la Turquie et l’Arabie saoudite. Les Kurdes ne trouvent plus de soutien qu’auprès des Européens, notamment la France. La scène politique américaine est marquée par une division entre l’indifférence envers la Syrie et le soutien à un allié fiable qui a joué un rôle crucial dans la lutte contre Daech. D’un côté, elle rejette le projet politique d’Ahmad al-Charaa ; de l’autre, elle préconise une solution fédérale pour la Syrie. Israël souhaite que les États-Unis continuent de soutenir les Kurdes, tout comme il le fait avec les Druzes. Par ailleurs, dans le conflit avec l’Iran, les Kurdes représentent un puissant levier intérieur contre Téhéran.
La question du nord-est syrien ne se limite pas à un combat entre centralisation et fédéralisme, ni à une opposition entre la majorité arabe sunnite et les minorités. Ces dynamiques doivent être interprétées également à l’échelle de l’affrontement entre l’État hébreu, la République islamique et la Turquie dans cet espace géopolitique tampon constitué par le Liban, l’Irak et la Syrie.
Fabrice Balanche