Une agression d’un professeur par des étudiants bouleverse la France. Cette affaire révèle la lâcheté et les tendances extrémistes qui règnent dans les universités.
Article de Lucien Scherrer publié en allemand dans le Neue Zürcher Zeitung le 26.05.2025
Vêtus de capuches et de casquettes pour cacher leur identité, ils font leur entrée dans l’amphithéâtre. « Racistes, sionistes, vous êtes les terroristes », scandent-ils. Ils brandissent un drapeau palestinien, puis ils entourent le professeur, comme s’il était un accusé qui devait avouer ses crimes. « Il est pour Assad ! », crie une voix masculine.
Peu après, on voit Fabrice Balanche rassembler ses affaires et quitter la salle sous les huées et les insultes. La scène a été filmée le 1er avril dans une salle de cours de l’université publique Lyon 2. Depuis, Fabrice Balanche fait face à des menaces et des insultes. Il déclare à la NZZ : « Ces étudiants font régner la terreur à l’université. » Pour le moment, il préfère travailler à domicile afin d’éviter d’être insulté et agressé sur le campus.
Certaines universités seraient devenues des « citadelles de l’extrême gauche » et des islamistes.
Fabrice Balanche est géographe, parle arabe et a longtemps vécu au Liban et en Syrie. Il a mené des recherches sur place avant et pendant la guerre civile. Il est considéré en France comme l’un des meilleurs spécialistes de cette région. Il a déjà donné des entrevues au Spiegel, à la NZZ et dans les médias romands. Il a remporté un prix pour son dernier livre, « Les leçons de la crise syrienne ». La situation de cet homme de 55 ans a suscité un véritable scandale en France.
Les médias font état d’un « blocus islamiste » de l’université, de slogans haineux contre Israël et d’espaces de non-droit. Des procureurs enquêtent pour « entrave à l’enseignement », des ministres s’en mêlent, des politiciens de droite rivalisent de demandes de sanctions exemplaires et de votes selon lesquels certaines universités seraient devenues des « citadelles de l’extrême gauche » et des islamistes.

Intervention au Sénat Max Brisson
D’autres voix, principalement issues de la gauche, tentent de minimiser les faits et de présenter Fabrice Balanche comme la victime d’un incident regrettable ou d’un problème imaginaire. Car, en réalité, il ne s’agirait que de quelques jeunes immatures.
Au premier abord, les événements de Lyon ne semblent pas aussi graves que les titres de la presse pourraient le laisser croire. Cependant, ils mettent au jour des problèmes plus profonds, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays. On peut penser au radicalisme de certains militants antiracistes qui considèrent le terrorisme comme un acte héroïque, à l’intolérance grandissante ainsi qu’à l’indulgence dont font preuve certaines universités à l’égard de ces tendances.
L’affaire commence en février, lorsque des militants de gauche occupent avec beaucoup de pathos une salle de l’université pour chanter des chansons contestataires et discuter de thèmes tels que « la guerre et la révolution » ou l’histoire du mouvement squatter à Lyon. Fin mars, la situation s’envenime. Les activistes ont non seulement créé un espace de prière pour les musulmans, mais ils les ont également invités à rompre le jeûne ensemble à l’université, avec des représentations de femmes portant un voile et d’hommes barbus.
L’État français étant strictement laïque, la présidente de l’université, Isabelle von Bueltzingsloewen, a ordonné la fermeture de la salle. Les radicaux de gauche ont réagi à leur manière en bloquant l’université le 28 mars. Ils traitaient la présidente de raciste islamophobe, voulant empêcher les musulmans de vivre leur foi. La campagne est soutenue par des syndicats étudiants de gauche, tels que « Solidaires » ou des groupes comme « Intifada France », qui se solidarisent au nom d’Allah.
Il faut beaucoup d’imagination pour percevoir en Fabrice Balanche un extrémiste de droite
Quatre jours plus tard, l’incident avec les individus masqués qui a fait connaître Fabrice Balanche se produit. Sur les réseaux sociaux, un groupe d’extrême gauche, « Lyon 2 Autonome », revendique avoir attaqué la conférence. Ils soutiennent que l’enseignant adopte des idées radicales de droite et professe des opinions intolérables sur la situation en Syrie et à Gaza. Il doit donc être congédié pour que cessent ses discours racistes et génocidaires.

Site instagram de Lyon 2 autonomes, le 8 avril 2025
Fabrice Balanche ne s’étonne pas d’être considéré comme un ennemi. « Je suis dans le viseur de ces radicaux de gauche depuis un certain temps », déclare-t-il. Il suscite également la méfiance chez certains scientifiques, car ses analyses sur la Syrie se sont révélées exactes. Il faut beaucoup d’imagination pour percevoir en Fabrice Balanche un extrémiste de droite, un sioniste et un partisan du dictateur syrien déchu Bachar al-Assad.
Cela n’est pas seulement dû au fait que le régime d’Assad détestait les « sionistes » et qu’il accordait l’asile à d’anciens criminels nazis. Fabrice Balanche était communiste dans sa jeunesse et, en 1988, il s’est rendu en Union soviétique avec une délégation du Parti communiste français. Cette expérience l’a immunisé contre les idéologies pour le reste de sa vie. Ce regard lucide imprègne également ses travaux, dans lesquels on ne décèle guère de sympathie pour le régime d’Assad. Toutefois, étant donné qu’il a eu l’occasion de s’entretenir avec le dirigeant autoritaire en 2016 et qu’il n’a jamais partagé l’opinion de certains chercheurs selon laquelle une transition démocratique serait possible en Syrie après le départ d’Assad, il est encore aujourd’hui la cible de critiques acerbes, notamment sur Wikipédia, qui le qualifie de chercheur favorable à Assad.
La réputation de Balanche comme sioniste, islamophobe et partisan du génocide est due à une conférence où il établit un lien entre le port du voile, la consommation de nourriture halal et l’islamisme. À cela s’ajoutent ses apparitions sur la chaîne de télévision de droite CNews. Peu avant l’attaque de son cours, il y avait salué la décision de l’université d’empêcher la rupture du jeûne islamique. En 2023, après le massacre du 7 octobre, il a affirmé sur CNews qu’il est probable qu’Israël envisage d’évacuer la population palestinienne de la bande de Gaza. Il pense que cela fait partie de ses plans pour éradiquer le Hamas.
Les réactions de la direction de l’université ont largement contribué à faire de l’« affaire Balanche » un scandale
Il refuse que cela soit perçu comme une prise de position personnel. « Je n’ai fait qu’esquisser un scénario », affirme-t-il. Malgré l’absurdité des allégations, l’université semble avoir décidé de se désengager. Elle aurait toléré les militants d’extrême gauche et une partie du corps enseignant aurait même une complicité intellectuelle. Ils auraient tendance à adhérer à un islamo-gauchisme qui considère les musulmans comme le nouveau prolétariat et la critique des islamistes comme du racisme.
Les réactions de la direction de l’université ont largement contribué à faire de l’« affaire Balanche » un scandale. Dans une interview, la présidente de l’université, Isabelle von Bueltzingsloewen, a ainsi évoqué des incidents intolérables, tout en reprochant à son subordonné Balanche d’avoir nui à l’université avec des rumeurs relevant de la théorie du complot. Compte tenu de « ses propos sur Gaza », elle ne s’étonne pas qu’il ait été pris pour cible. Elle lui demande de se trouver une place à l’université, puisque, manifestement, ses analyses ne correspondent pas aux attentes.

Fabrice Balanche
Le vice-président de l’université, Willy Beauvallet-Haddad, a partagé un article d’un site d’extrême gauche où les auteurs justifient leurs actions en qualifiant Fabrice Balanche de porte-parole de l’extrême droite. Le 14 avril, l’Association des universités françaises a affirmé dans un communiqué que l’islamo-gauchisme critiqué par Balanche était un pur fantasme.
Quelques jours plus tard, des recherches menées par les médias ont montré que ce prétendu fantasme existait pourtant bel et bien. Même à Lyon, où le vice-président Willy Beauvallet-Haddad a régulièrement montré sa sympathie pour le Hezbollah, un mouvement islamiste radical, sur les réseaux sociaux. À propos de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah tué à l’automne 2024, il a écrit : « Il a gravi les échelons du panthéon de nos cœurs et des grandes personnalités de l’histoire. » Le véritable leader du Liban était Nasrallah, fraternel et moralement intègre. Mais en Occident, qui a toujours méprisé le monde arabe – une théorie du complot classique –, on ne le comprendra jamais ».
l’ancien vice-président de l’université, fait l’objet d’une enquête pour « apologie du terrorisme »
Parallèlement, Beauvallet-Haddad a organisé des séminaires dans lesquels Israël est décrit comme un État colonial qui pratique l’apartheid. Il a travaillé en collaboration avec un chercheur qui affirme dans les médias que l’agitation entourant les activités islamistes est une expression du sentiment islamophobe. Ces séminaires ont été promus par le syndicat d’extrême gauche Solidaires, qui est également représenté au conseil d’administration de l’université.

Séminaire Palestine organisé par le laboratoire Triangle. Site Instagram de Solidaire Lyon
Willy Beauvallet-Haddad, ancien vice-président de l’université, fait l’objet d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison de ses propos sur le leader libanais Nasrallah. Il a démissionné de son poste de vice-président de l’université, mais a annoncé dans une lettre qu’il continuerait à enseigner et à s’engager pour une université « diversifiée » et « progressiste ». Il a également exprimé son soutien envers le peuple palestinien.
Le conflit israélo-palestinien « hystérise » le débat social, a déclaré fin avril le ministre de l’Enseignement supérieur
Le mystère entourant l’identité des individus ayant perturbé la conférence de Fabrice Balanche le 1er avril demeure entier. La présidente de l’université, Isabelle van Bueltzingsloewen, a également reçu des menaces de mort après ses commentaires sur l’affaire Balanche. Le conflit israélo-palestinien « hystérise » le débat social, a déclaré fin avril le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste. Cela se ressent également dans les universités.
Mais l’atmosphère était déjà explosive dans la société française avant le 7 octobre. Les extrémistes de droite et de gauche ont le vent en poupe. Ces derniers courtisent les islamistes lors de manifestations de masse et lors des élections, et ensemble, ils luttent contre l’Occident et les « sionistes ». Dans les écoles, les enfants juifs sont victimes de harcèlement, et deux enseignants ont été tués ces dernières années par des fanatiques religieux.
Dans les universités, des étudiants s’en prennent à des professeurs qui leur déplaisent, à la manière de juges expéditeurs. À Grenoble, des militants de gauche radicale ont déjà dénoncé deux enseignants libéraux en les qualifiant de racistes parce qu’ils avaient critiqué le terme « islamophobie », souvent utilisé de manière abusive par les islamistes. Ces deux hommes ont dû être mis sous protection policière. Fabrice Balanche n’en est pas encore là, mais il ne compte pas s’arrêter. « Vous savez, j’ai vécu les bombardements de l’été 2006 et les attentats à la voiture piégée à Beyrouth », se souvient-il. « On peut supporter beaucoup de choses. »